Une question usuelle dans le domaine technique est celle de comment capturer ce qu’est l’expertise. Il n’y a apparament pas de réponse simple, ce qui ne devrait pas être une surprise pour un sujet aussi vaste plein de complexité et qui ne peut être simplifié sans être rendu simpliste.
Un des premiers modèle qui visait initialement capturer comment former des ingénieurs est devenu une des descriptions de l’expertise a été reporté dans la litérature dans un article publié par Dreyfus et Dreyfus¹ qui a été 25 ans plus tard résumé par Lester.² Ce travail visait apporter des descriptions d’étapes à franchir pour des apprenants ingénieurs basé sur une conviction que l’aprentissage dans le cadre de l’expertise signifiait avant tout effectuer une application de standards et de règles, application qui irait en s’améliorant par la pratique. Un premier élément à spécifier est que le travail et le papier de Dreyfus et Dreyfus analysent les aspects techniques du travail d’ingénieur dans les années ’60 et ’70, un temps auquel les fondements de ce qui faisait le travail et l’expertise avaient atteint une sorte d’état métastable dans le monde occidental après la reconstruction d’après-guerre et le nouvel ordre mondial dominé par les USA et la guerre froide. Les changements dont l’augmentation continue de l’abstraction et de la complexité dans les réflexions de scientifiques et d’ingénieurs avaient commencé depuis le début du XXème siècle, mais n’avait pas encore atteint les niveaux du début du XXIème siècle suivant les accélérations sociétales initiées dans les années ’80.
Depuis les changements dans le monde du travail amorcés par la révolution du monde du travail lancée dans le monde anglo-saxon sous les gouvernements de Reagan aux USA et de Thatcher au UK dans les années ’80, qui s’est répandue en Europe et ailleurs dans les années ’90, et la fin de la guerre froide, le monde du travail et ce qui définissait l’expertise ont été retournés par l’apparition de nouvelles responsabilité des employés-experts, de nouveau moyens dont l’internet générant de nouveaux flux et accès aux informations. L’évolution continuelle et accélérée depuis les années ’80 a créé une absence de vue sur ce que voulait dire au XXIème siècle être un spécialiste ou un expert. Et cela a laissé plusieurs experts ancrés dans les souvenirs de ce que c’était “avant”. Tout nouvel employé.e entrant dans ce monde du travail au sortir de formations techniques dont la variété n’a fait qu’augmenter drastiquement se retrouvent également sans repères fixes pour se juger, juger les autres et être jugé par les autres, et encore moins quoi et comment apprendre dans un tel contexte.
Le premier objectif de cette série de posts est de partager une approche élaborée dans et pour le monde du travail, prenant les meilleurs aspects de ce modèle initial en y ajoutant des domaines aujourd’hui essentiels dans le travail des experts et pas couverts dans le travail fondateur de Dreyfus et Dreyfus. En étendant au-delà des compétences purement technologique, une majorité d’aspects sociaux ont été introduits. Un deuxième objectif a été d’étendre le cadrage et l’utilisation de cette définition renouvelée de l’expertise pour aller au-delà d’une description de tâches à acquérir comme base de jugement fixe dans un monde prétendûment fixe. L’approche liste les actions et les comportements caractéristiques de chaque niveau d’expertise permettant de mesurer et estimer sans avoir à juger, puis de planifier son développement personnel et celui d’autres au cours d’une carrière d’expert, ainsi que de suivre les évolutions inévitables du monde du travail et de la position des spécialistes dans un tel monde.
Le modèle étendu présente ainsi une voie pour aller d’un niveau néophyte jusque vers plusieurs niveaux d’expertise dans un domaine technologique ou technique donné avec des étapes décrivant les actions et les capacités à acquérir à chaque niveau et ce dans divers sous-domaines de compétences couvrant une bien plus grande part de ce qui compose un travail d’ingénieur ou de technicien dans le monde du travail actuel. Une conséquence de ce travail a été l’introduction d’un niveau d’expertise supplémentaire décrit comme l’expert.e innovant.e qui peut mettre en pratique son expertise dans des situations nouvelles et créer en cas de besoin de nouvelles solutions et par ce faire, par exemple gérer la complexité en utilisant au mieux le savoir technique et social disponible.
¹ Dreyfus, S E and Dreyfus, H L (1980) A five-stage model of the mental activities involved in directed skill acquisition, Air Force Office of Scientific Research (AFSC), USAF, contract nr F49620-79-C-0063 with the University of California Berkeley
² Lester S (2005) Novice to Expert : the Dreyfus model of skill acquisition, http://www.sld.demon.co.uk/dreyfus.pdf
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